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vilaine fille **
9 octobre 2014

Les mains liées

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J'avais imaginé mille tortures compliquées. Tout en espérant que ses menaces imprécises ne soient qu'une façon de me tourmenter avant l'heure, de s'emparer de mon âme avant mon corps, de me punir pour cette joie sauvage que j'éprouvais depuis que notre rendez-vous avait été fixé.
Quand il me promettait un « inconfort extrême » j'imaginais cordes, écartèlement, cheville derrière l'oreille, équilibre précaire. Ce genre d'acrobaties que ma souplesse pourrait supporter, pensais-je.
    Mais m'avait-il jamais emmenée là où je pensais aller ?

Il a tiré sa ceinture de cuir des passants de son jean.
J'ai frémi, me suis crispée. J'étais nue et agenouillée sur le sol, et je me suis instinctivement voûtée, comme s'il allait me fouetter, ce qu'il n'avait jamais fait.
Mais non. Il s'est seulement accroupi derrière moi.

- Croisez les bras dans le dos.

J'ai obéi, un peu déçue, peut-être. J'aurais bien aimé que les éléments se déchaînent. Que l'orage éclate, que les éclairs claquent, que la haute tension qui m'habitait se disperse en mille flèches de couleur, de douleur. Qu'il y ait du bruit, des larmes, de la fureur. Que sa violence apaise celle de mon désir.

Mais c'est très tranquillement qu'il a enroulé sa ceinture de cuir autour de mes poignets rassemblés, qu'il a solidement liés. En me touchant à peine. En n'offrant aucune prise à mon impatience fiévreuse, aucune brèche à ma rage, à ma faim de me colleter à lui, vite, fort, enfin.


Il est venu s’asseoir face à moi, cuisses ouvertes, au bord du lit.  

- Approchez-vous.

J'ai humecté mes lèvres, pris ma respiration. Pas facile avec les épaules en arrière, mes mains entravées et ces cheveux dans les yeux qui me chatouillent, m'énervent.
Mais je m'applique, me concentre sur le Miracle qui frôle ma peau, s'offre à ma bouche.
Coups de langue, délectation, gémissements. Solo de saxo au soleil couchant.

- Comme une catin, catin.

Sa main sur ma nuque. Ce choc, au fond de ma gorge. Mes joues qui se creusent, qui serrent, qui freinent. Ces larmes, qui brouillent ma vue. Guitare qui hurle, batterie qui frappe, basse qui pulse comme mon cœur qui s'affole.

Et ces fichus bras coincés dans mon dos, ces fichues mains emprisonnées par un petit bout de cuir, l'impossibilité dans laquelle je me trouve de contrôler, de retenir au moins un peu la force et l'amplitude de ses mouvements, ça me rend folle.
Panique mais presque.

J'ai mal aux épaules, aux bras, au plexus. Aux genoux, aux cuisses. J'ai peur. De faillir. De mal le sucer. De le faire débander.
Je m'étouffe, je hoquette, je retiens un haut-le-cœur.

- Cessez vos jérémiades. Ne m'aviez-vous pas promis d'y parvenir ?
Ou alors c'était un mensonge, un de plus ?


Je me tais à l'instant. Inspire par le nez, me ressaisis. Pas question de ne pas réussir. Je suis la meilleure, la pire. Celle qui fait ce que les autres ne font pas.  Celle qui ne Lui dit jamais non.
    
Oui mais j'ai mal aux épaules. Et aux bras. Et aux poignets sur lesquels je tire comme une forcenée pour tenter de me libérer de cette fichue ceinture qui m'affole, qui m’enrage.
C'est la première fois que j'ai à tenir si longtemps cette position-là.
La première fois qu'il m'attache si serré.
La première fois qu'il ne se fie pas à mon je ne bougerai pas.

- Arrêtez de gigoter.

Oh mon dieu, il bande moins. Je vais tout faire rater avec mes conneries. Ces heures si rares, Son plaisir si précieux.
Alors j'oublie mon inconfort, mes douleurs, mes mains incapables de m'aider.
Et, instruite par cette mystérieuse science offerte par le Ciel, je saute sur l'opportunité qui m'est offerte  de le recevoir tout entier sans m'étouffer. De l'enserrer, le faire glisser au plus loin.
Il geint, cesse d'appuyer sur ma tête et referme sa main dans mes cheveux.
    
- Mmmm...oui...c'est mieux...c'est bon, putain...continuez...

Les yeux fermés, je suis comme un moine bouddhiste, comme une plongeuse en apnée. Concentrée sur l'instant, sur l'essentiel. Niant la souffrance. Repoussant mes limites. Mettant toute les forces de mon esprit au service de mon corps au service de Son Plaisir.  
Qui enfle, qui s'allonge, qui grossit. Qui répond à mon don, à mon appel, à mon aspiration.

J'ai toujours mal aux épaules, aux bras, aux poignets. Rien n'est résolu ni guéri. Ni facile.
Mais je m'en fous. Je creuse ma langue et mes joues. J'ouvre ma gorge, j'ignore ces affreux chatouillis sur ma glotte.
C'est Sa Queue.
Que je n'aurais dû, que j'aurais pu, ne jamais revoir.
Ne plus jamais plus sentir ici, branlée entre mes lèvres, dans ma bouche pute. Servile. Savante. Soumise. Sienne.




- Là... vous y êtes presque.
Non, je m'étouffe, je vais mourir. Ou vomir.
Ou pire que tout, échouer. Être obligée de reconnaître que non, je ne suis pas la meilleure des catins. Ni la pire.
Impossible.

Le pouvoir de l'esprit. Et du cœur. Et du cul.
La trilogie magique. La seule capable de sublimer la matière, d'exploser mes limites. De me faire oublier qu'elles existent.


Il appuie sur ma tête, m'encourage.
Alors j'essaie encore une fois. Parce que c'est Lui. Et qu'Il règne sur mon esprit. Sur mon cœur. Sur mon cul.
Parce qu'Il est le seul qui puisse obtenir davantage que ce que je pensais pouvoir offrir.  



- Mmmm...

Il n'a plus de mot, enfin. Il ferme les yeux, sa main se relâche.
Il s'abandonne un peu. Il cesse de douter, on dirait, de chercher la faille.
Je ne peux pas tricher et il le sait. Et ça l'apaise. Et ça l'excite.
Sous ma langue, l'arrondi à la peau fine tressaille, se contracte.
Dans ma gorge la queue se tend, gonfle encore.

Je n'ai plus mal, ni besoin d'air. Appelez-moi Félicité. Ou Victoire. Ou Reine des suceuses.
J'ai réussi.
Encore une fois, je l'ai suivi où il voulait, là où je n'avais jamais prévu d'aller. Sans me dérober ni crier pouce ni au fou. J'ai marché sur les braises comme si tout était normal, comme s'il ne me demandait pas l'impossible ou l'inacceptable.
Ce n'était pas aujourd'hui encore qu'il me prendra en défaut, qu'il me fera mentir. J'ai obéi. Je suis à lui. Il n'en trouvera jamais de plus salope, de plus docile que moi.




Il se retire, mais maintient mon visage levé vers lui.
Ni vainqueur ni vaincue dans ce regard-là. Juste la jouissance partagée de donner et de prendre, de s'abandonner et de posséder. De plonger ensemble dans le même abîme, le même univers où nous sommes seuls et libres.


Quand ça déferle, le temps s'arrête.
Il est la vague et moi, l'île nue,
la catin qui reçoit dix fois son dû.
Et son long râle de plaisir, comme une giclée de diamants.






- Ne bougez pas, il murmure.

Je le fixe en me léchant les lèvres, en clignant des yeux pour décoller mes cils.

Je devrais avoir honte, me sentir souillée.
Mais je me retiens de sourire,
parée des « plus beaux des bijoux, les plus précieux et les plus fous ».
Riche, fière.

    - Jamais, je dis.













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Commentaires
V
Wouaw...<br /> <br /> Je passais par là, j'ai lu chaque ligne de votre texte, et vraiment, je suis jalouse! :)<br /> <br /> J'aurais aimé avoir décrit aussi bien, aussi intensément, aussi poétiquement et aussi follement ce lien si puissant.<br /> <br /> Magnifique texte, sincèrement!<br /> <br /> Vivienne.
Répondre
V
Merci. Laisser songeur...j'aime bien (:
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U
Un texte superbe, magique, vrai qui éveille des souvenirs, des désirs, qui laisse songeur... heureux homme !
Répondre
vilaine fille **
vilaine fille **

- Débauchée, luxurieuse, corrompue, déréglée, voluptueuse, immorale, libertine, dissolue, sensuelle, polissonne, baiseuse, dépravée, impudique, vicieuse. Me baisant la main avec une feinte dévotion. - Et malgré tout ça, je veux qu'on m'aime. (Calaferte)
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